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Les héros de jadis étaient en pleine forme

Un demi siècle de l'histoire des Grand Prix :(rang du dessus, à partir de la gauche) de Graffenried, Birabongse de Thailand, Brabham, Gurney, Hill, Hailwood, Salvadori; (rang inférieur, à partir de la gauche) Hermann, Moss, Ickx, Ireland - rassemblé dans la province Portugaise d'outre-mer de Macao
C’était le jubilé des monstres sacrés - le 25e Grand Prix de Macao : Les as de la course automobile, tels que Brabham, Moss, Gurney, Phil Hill, Hermann ou Hailwood nous ont montré encore une fois qu’ils n’ont rien perdu de leur superbe maîtrise du volant.
«Vous savez» remarque le Prince Birabongse Bhanudej Bhanupandh de Thaïlande, âgé de 64 ans, «je me rappelle très bien le Grand Prix de France en 1954 à Reims. Si ce jour-là ma Maserati n’avait pas eu le tuyau du réservoir de réserve bloqué, j’aurais fait une troisième place, après les Mercedes de Fangio et Kling.» Il y a comme un rien de nostalgie dans la voix de ce petit homme agile qui remet le casque de protection pour la première fois depuis 23 ans.
A côté de lui se tient Jacky Ickx, huit fois vainqueur en Grand Prix, et le plus brillant pilote de courses d'endurance de tous les temps. «Vous ne mettez pas de bouchons d’oreilles ?» lui demande le Belge. Et Bira : «Non, il me faut entendre le bruit du moteur. C’est comme ça depuis mes meilleurs jours.» Les deux montent en voiture, Ickx gagne souverainement, Bira arrive en queue du peloton.
Le lieu de cette étrange rencontre est Macao, province portugaise d’outre-mer avec un peu moins de 300.000 habitants, dont 8000 possèdent une voiture.
«Tout cela est la faute à Bob», dit Bira, en parlant de l’homme d’affaires de Hong Kong Bob Harper qui possède à Macao une succursale de son empire automobile. Ce géant de l'automobile en Asie orientale vend non seulement des voitures prestigieuses de marques diverses mais aussi des véhicules de masse japonais, ainsi que des camions. Et il est amateur de voitures anciennes ainsi que propriétaire d’une écurie de course.
Mais la «faute à Harper» dont parle Bira n’est pas de promouvoir avec ardeur l’automobile à Macao avec ses 16 km² seulement. Donnons la parole à Harper lui-même : «C’est en Australie que j’ai eu l’idée de couronner le jubilé du 25e Grand Prix de Macao avec une course des géants, où les champions des Grand Prix de jadis se feraient la course à bord de voitures identiques.»
Pour commencer, il commande alors 20 Ford Escort 1.6 litres spécialement préparées pour la course, histoire de permettre aux célébrités de s’entraîner un peu avant de reprendre le volant. Ensuite il envoie aux vedettes d’hier une invitation qui n’est déclinée que par Juan Manuel Fangio et John Surtees. Fangio, qui est un peu fatigué suite à un séjour en Afrique, envoie un télégramme de félicitations. Surtees, lui, répond qu’il y participerait avec beaucoup de plaisir mais qu’il se trouve, hélas, à l’hôpital.
Cependant les grands noms ne font pas défaut sur la liste d’invités que Jackie Stewart, champion d’innombrables Grands Prix, peut annoncer à son public de téléspectateurs. On y trouve Bobby Unser, la vedette d’Indianapolis, les champions du monde Jack Brabham, Denny Hulme et Phil Hill, Stirling Moss, le presque champion de plusieurs courses, « Mike the Bike » Hailwood, des pilotes polyvalents comme Dan Gurney, Roy Salvadori, Innes Ireland, Jacky Ickx ou Hans Hermann, et parmi les plus âgés le Prince Bira et le Baron Toulo de Graffenried. Pour finir, on y trouve encore Bill Wyllie, du camp de Harper, et Teddy Yip, l’adversaire acharné de ce dernier.
Teddy Yip, qui est considéré à Macao comme l’un des gouverneurs secrets de la Chine, n’a raté qu’un seul des 25 Grands Prix de Macao. Wyllie, lui, a fait dans cette course une deuxième place en 1959, Yip une troisième place en 1963 avec une Jaguar type E.
Toujours est-il que le spectacle des géants commence avec un «tonneau» gigantesque. Jackie Stewart, qui participe à l’entraînement «juste pour rire», attaque trop vite le «Fisherman’s Bend», un virage de 90° face à la mer. La seule partie de l’Escort à rester intacte ,après une culbute digne d’un patineur artistique, est le côté gauche avant. Ce qui fait le bonheur de l’Autrichien Dieter Quester : «Lors de l’entraînement pour voitures de tourisme, j’avais écrasé le côté gauche avant de mon Escort Zakspeed sur la glissière». L’épave de Stewart servira donc à réparer la Zakspeed, qu’il aurait fallu autrement retirer du service.
Pour le deuxième entraînement, on donne à Stewart une nouvelle voiture marquée de repères pour lui rappeler où est le haut et le bas. Le soir, tous tirés à quatre épingles dans leur vestes et cravates Harper, ils discutent entre eux, pendant le dîner au restaurant « La Galera » ou lors des nombreuses soirées cocktail, comme si l’on avait affaire à un championnat du monde.
Lors de son arrivée à Hong Kong, Mike Hailwood avait dit à Denny Hulme : «Je me rappelle le temps ou l’on s’est soûlé la veille d’une course.» Et la première question de Bobby Unser à Macao était : «Où est le bistrot le plus proche ?».
Pourtant le 24 octobre, à la veille du Grand Prix, Hailwood et Unser ne boivent guère, et Roy Salvadori et Innes Ireland – normalement amateur passionné du whisky – tirent d’un air penseur les lunettes de lecture de leurs étuis.
Salvadori : «Innes, fais-moi voir encore une fois les chronos de l’entraînement. Je n’arrive pas à comprendre comment Unser a fait pour prendre tant d’avance sur moi, vu que pendant plusieurs tours j’étais tout juste derrière lui.»
Et Ireland de tirer de sa poche une esquisse du circuit : «Dis-moi, Roy, comment fais-tu pour les changements de vitesse sur ce circuit ? Pour moi, l’entraînement est presque totalement tombé à l’eau parce que le câble de mon accélérateur s’est cassé.»
Hailwood, Hulme and Brabham sont tellement absorbés dans leur conciliabule qu’ils oublient le rosé sur leur table. Le garçon, qui arrive à trois reprises pour remplir leurs verres, s’en va bredouille chaque fois.
Seul Teddy Yip semble serein, mais avant le départ il tire de la poche de poitrine de sa combinaison un médaillon qu’il embrasse avec ferveur, sous les yeux amusés de Jacky Ickx. Ickx, dont tout le monde dit qu’il est trop jeune pour participer, vient de déclarer à un journaliste chinois : «Je suis trop âgé pour continuer à faire de la Formule 1». «Quel âge avez-vous ?» lui demande le chinois. – Ickx : «53». Et l’autre le croit.
C’est Yip, d’ailleurs, qui n’est plus là après le deuxième tour. Du circuit arrive la nouvelle que son Escort stationne devant sa maison. «Il est rentré chez lui boire un thé, histoire de se calmer les nerfs», disent les mauvaises langues autour des stands.
«C’est parce que la voiture que Harper m’a donnée ne tournait pas comme il faut», telle est l’excuse de ce pilote du troisième âge, qui apparemment n’apprécie guère ce «Harper Show» sur du territoire Yip.
Mis à part Jacky Ickx, qui tient tout seul la tête du peloton, la course offre du suspense pur. Il n’y a que 20 secondes d’écart entre le deuxième, Mike Hailwood, et le huitième, Phil Hill. Berthe, la veuve de Graham Hill, qui a accepté de tenir le tableau des tours pour Rallye Racing, gémit :«Il fallait faire sacrément attention ! J’ai rarement vu lors d’un Grand Prix tant de manœuvres de dépassement sur la ligne droite d’arrivée.»
Pour brosser une image des événements, voici quelques propos saisis au vol pendant la course. Moss lance à Hailwood :
- Espèce de salaud, qu’est-ce qui t’a pris de me serrer contre la glissière dans le virage à épingle ?»
- Désolé, Stirling, c’est parce que je n’ai pas d’expérience avec les voitures de tourisme, j’ai voulu seulement te donner un petit coup dans le flanc.
- Un petit coup dans le flanc ? Tu me fais rire, ça m’a fendu le pneu avant gauche, sinon j’aurais fait à coup sûr une deuxième ou troisième place.
- Oui, je sais, aujourd’hui j’ai été un mauvais garçon.
«Et comment», tonne l’ex-para Robert McGregor. «Je t’ai doublé en montant la pente, et dans les règles. Tu crois que c’est une raison pour me rentrer tellement dedans, juste avant le virage à épingle, que ma bagnole a fait un saut d’un mètre de haut …»
« Et a failli s’écraser sur le capot de ma voiture », ajoute Roy Francesco Salvadori, qui n’est italien que par son nom. Salvadori, deuxième du Grand Prix d’Allemagne en 1958 et champion du Mans l’année suivante, fait du bon travail dans la course de Macao, il double de Graffenried et lève le pied juste avant l’arrivée pour le laisser passer. Voilà un gentleman british de bonne souche ! Il ne se plaint pas du coup dans le flanc que Dan Gurney lui a donné au premier virage : «Dan est un garçon magnifique».
De même Jack Brabham, après avoir fait un pied de nez à Stirling Moss au septième tour, montre qu’il sait perdre avec dignité. Comme à Monaco en 1970, le dernier tour lui est fatal. Cette année-là, sa victoire presque certaine trouva sa fin au dernier virage dans les bottes de paille. A Macao Bobby Unser le serre contre la glissière dans la chicane près de l’Hôtel Lisboa. «Alors, bien sûr, ils m’ont tous dépassés. Mais c’est comme ça, la course automobile.»
Le soir, c’est les fanfares, la cérémonie du podium, et un discours émouvant prononcé par Bob Harper au théâtre de Macao, ensuite les fêtes pour célébrer les champions.
Une bonne vieille coutume qui fait entièrement défaut dans les Grands Prix d’aujourd’hui. Peut-être faut-il faire 15.000 km en avion pour assister à une chose pareille.
Traduit en français par Jui
Un grand merci à Frank de Jong pour avoir envoyé l'article original.

Ecrit par Jochen von Osterroth
Publié le 19-12-2002