Articles

Reine des victoires

Le Mans est une course magique. Jacky Ickx et cette course ont connu ensemble une histoire d’amour sur presque deux décennies. L’apogée de cette romance date de 1977. La course de cette année-là est, selon Jacky lui-même, la plus belle de sa carrière.
Habitant à moins de deux heures de route du Mans, j’ai eu l’occasion d’assister à de très nombreuses éditions de l’épreuve et d’être le témoin de toutes les victoires de Jacky Ickx sur ce circuit à l’exception de la mythique course de 1969 ou je n’étais qu’un jeune enfant.
De toutes ces courses, le souvenir le plus vivace date de 1977 ce qui n’est certainement pas un hasard.
Cette année-là, pour moi, les 24 h du Mans commençaient dès le mercredi. En effet, pour la première fois j’assistais aux essais de la plus grande course du monde grâce à un professeur du lycée qui avait organisé un déplacement sur le circuit pour une journée.
Le bonheur puisque les essais étaient l’occasion idéale d’approcher les voitures et les pilotes en toute liberté. Glorieuse époque bien éloignée des bunkers de la Formule Un actuelle.
Ainsi ce jour-là l'occasion m'était donnée d'approcher de très près de nombreux pilotes : Bell, Laffite, Beltoise, Depailler, Jabouille, Tambay etc... et surtout : Jacky Ickx. Arrivant au circuit au volant de sa Porsche 911, pris dans les embouteillages, il était là réel et palpable.
Jeune adolescent, cette rencontre me chavira de bonheur. J’avais déjà vu Jacky auparavant, mais toujours de l’autre côté d’une piste ou au volant de sa voiture en course. Et à cet instant, pour la première fois, j’aurais pu physiquement le toucher. Il n’était plus seulement une icône lointaine des revues et de la télévision. Il n’était plus uniquement un personnage de bandes dessinées dans Michel Vaillant. Il était présent !!!
Cette rencontre faisait déjà à mes yeux de l’édition 1977 des 24 heures du Mans un cru particulier. Mais le meilleur restait à venir.
Après cette courte journée du mercredi, retour au lycée pour terminer la semaine de travail en attendant très impatiemment le samedi pour retourner assister à la course qui s’annonçait particulièrement alléchante avec le duel entre Porsche, tenant du titre, et Renault le challenger.
Les forces en présence sont impressionnantes. Chez Renault, avec quatre voitures, les équipages sont constitués par une brochette de pilotes de F1 en exercice ou futurs : Depailler, Laffite, Bell, Jabouille, Arnoux, Tambay, Pironi. En face, Porsche aligne deux 936 et une 935. Sur l’une des 936, l’équipage vedette de ces 24 heures du Mans : Ickx-Pescarolo qui totalisent 6 victoires à eux deux! Pour compléter le tableau, l’outsider est constitué par les Mirage-Renault.
A l’issue des qualifications, deux Renault occupent la première ligne, suivies par Ickx-Pescarolo sur la troisième place de la grille.
Dès le départ de la course, Jabouille au volant d’une des Renault s’empare du commandement, suivi par la Porsche 935 usine de Stommelen qui jusqu’à son premier ravitaillement va réaliser un véritable feu d’artifice en 2ème position. A l’arrêt de celle-ci pour ravitailler (dès le 7 ème tour), Ickx va se positionner derrière Jabouille en conduisant à un rythme préservant la Porsche. Dans le clan Renault, un coup de théâtre intervint dès le premier tour avec l’abandon (incendie) de la voiture de Pironi-Arnoux. Cependant, après avoir frappé Renault, c’est sur Porsche que vont s’abattre les coups durs.
Ainsi après 90 minutes de course la Porsche 936 n° 4 de Barth-Haywood est immobilisée plus de 30 minutes au stand et elle plonge dans les profondeurs du classement. Après moins de trois heures de course, Pescarolo qui a pris le relais de Ickx sur la Porsche 936 n° 3 rentre à son tour au stand pour abandonner suite à une rupture de bielle. Enfin, une heure plus tard environ, c’est la Porsche 935 de Stommelen qui rend l’âme.
A ce stade, soit après 4 heures de course, l’épreuve semble décapitée. Le cauchemar est total chez Porsche ainsi que chez les supporters de la marque allemande et du pilote belge….. dont je fais bien évidemment partie. C’est alors que le miracle va commencer et que l’Histoire va se mettre en marche. Jacky Ickx ainsi que le règlement l’y autorise va passer sur la Porsche 936 n° 4, seule rescapée de l’écurie, qui occupe alors la 41ème position du classement. N’ayant plus rien à perdre, Jacky va, à partir du début de soirée, enchaîner les relais, tournant à rythme effréné, améliorant sans cesse son temps jusqu’à battre le record du tour détenu par François Cevert depuis 1973.
Dans la nuit toujours magique du Mans, du bord de la piste le spectacle était prodigieux. Voir la 936 avaler les "S du Tertre Rouge" ou le "Virage Ford" à un rythme d’enfer pendant des heures était hallucinant, surréaliste. A la vue de ce spectacle, il était impossible d’aller se coucher et ce fût une nuit blanche pour moi. Au fur et à mesure des heures la Porsche n° 4 remonta dans le classement pour occuper la 2ème place au lever du jour. L’apparition de la pluie ne stoppera pas Jacky qui continua son sans-faute, justifiant ainsi son surnom de " Rainmaster ". La suite de la course, ce fût la disparition des Renault. Celle de Jabouille-Bell, qui occupait la tête depuis le départ, abandonna vers 9h00 laissant ainsi la première place à la Porsche de Ickx. L’abandon de la Renault fût causée par la rupture d’un piston. Ce mal avait déjà fait disparaître l’équipage Tambay-Jaussaud à la mi-course. Il allait également entraîner l’abandon vers midi de la dernière Renault, celle de Depailler-Laffite alors en 2ème position et qui essayait de remonter sur la Porsche. Après la disparition de toutes les Renault, la Porsche se retrouvait avec 17 tours d’avance sur la Mirage-Renault en seconde position, et semblait en bonne voie pour gagner une course qui paraissait irrémédiablement perdue le samedi à 20 heures.
Dès 13 heures, je m’étais posté en face du stand Porsche pour assister au triomphe de mon pilote favori. Mais il était écrit que cette course serait incroyable jusqu’à son dénouement. Lorsque vers 15h10, Haywood au volant de la n°4 rentra au stand au ralenti traînant un panache de fumée, la victoire semblait s’éloigner. Dans les tribunes l’émotion était à son comble, certains spectateurs, déçus par la défaite des Renault, étaient heureux de ce qui arrivait à la Porsche en espérant qu’elle ne repartirait pas. Pour ma part, je ne pouvais pas imaginer que cette victoire allait échapper à celui qui avait conduit si merveilleusement et qui s’était battu jusqu’au bout de ses forces. De mon poste d’observation, je ressentais la tension qui habitait l’équipe Porsche. Lorsque vers 15h 40, Barth reprit la piste pour faire franchir la ligne d’arrivée à la n° 4, les deux tours bouclés au ralenti furent un calvaire pour mon cœur de spectateur/supporter. Ce moteur allait-il tenir ? Quand la voiture déboucha du " Virage Ford " pour la dernière fois, ce fût un vrai soulagement et la fin d’un suspense éprouvant pour mes nerfs et ceux de bien d’autres personnes. La joie fit alors son apparition.
Aujourd’hui, plus de 25 ans après cette course, tout est encore très présent, très frais dans ma mémoire. Le simple fait d’évoquer ces 24 heures du Mans déclenche le film de cette 936 roulant à fond dans la nuit. Aujourd’hui subsiste le sentiment d’avoir été l’un des témoins privilégiés d’un grand moment de l’histoire du sport automobile. D’avoir été le spectateur d’une course d’exception remportée par un pilote en état de grâce. Ce jour-là, et surtout cette nuit-là, Jacky Ickx a conduit plus longtemps, plus de 13 heures, et plus vite que n’importe quel autre pilote présent sur le circuit donnant le sentiment d’être sur une autre planète.
Ce week-end de Juin 1977 restera à tout jamais ma plus belle expérience au contact de la course automobile. Par la magie d’une course d’anthologie et d’un pilote en état de grâce.

Bravo et merci Mr Ickx.

Ecrit par Dominique Dreneau
Publié le 01-03-2003

Vos commentaires

la reine des victoires ( Ecrit par BLONDEAU Benoît le 27-04-2003 )

Le Mans 77, sans conteste une course de légende. A l'époque, la radio publiait un flash spécial 24 heures pendant toute la nuit. J'ai fait sonner mon réveil toutes les heures pour écouter ces flashes qui, invariablement, signalaient que Jacky poursuivait sa remontée sur la Renault de tête, tour après tour. Quel souvenir ! J'avais 13 ans.

le mans 1977... ( Ecrit par Alain Carrette le 13-10-2003 )

Il faisait chaud, ce week end la, et durant le dejeuner, je me souviens un reporter interrogeait le recordman de victoires au Mans, sur TF1. un pilote de la generation precedent celle de Jacky, avec la meme classe et autant de talent, l'exemple du genteleman driver, Olivier Gendebien, 4 victoires... L'inevitable question etait pressentie...le record de victoire pouvant etre egale. La reponse fut des plus galantes, elegante et tout a l'image d'Olivier Gendebien, a savoir que les records existent pour etre egales et depasses.
A 15 heures, Tierce et peu apres son arrivee, retour au Mans pour les dernieres minutes....Catastrophe, la 936 de tete etait a son box, et l'on avait attache un chronometre sur le volant, pour ajouter encore a l'agonie de la belle machine allemande. Manfred Jankthe, team manager, fit monter le pilote/ingenieur Jurgen Barth dans la voiture, pour deux boucles qui semblaient interminables...La plus belle des victoires Mancelles, la plus memorable aussi, mais aussi la plus galante!

LE MANS 1977 ( Ecrit par DELENS Luc le 18-12-2003 )

J'ai également mis mon réveil, cette nuit là de juin 1977 pour écouter Alain Vandenabeele (RTBF Radio) nous retraçer l'incroyable remontée de Jacky sur les Renault.
Fanatique également du Luigi Raçing, j'écoutais les positions de nos autres pilotes belges, Jean Xhenceval, Pierre Dieudonné...qui avec le pilote Dini ont terminé 8è du classement général sur la BMW 3.0 CSL et 1er de la catégorie Imsa de l'époque au Mans 1977. Incroyable pour notre sorcier de Comblain au Pont. Luigi avait en catastrophe (vu qu'il était fort pris par le championnat d'Europe groupe 2) monté une boite 5v. homologuée exceptionnellement pour rouler en Imsa au Mans.
En effet la Béhem disputait tout le Championnat d'Europe Gr. 2 avec une boite 4 (homologation oblige).
Bref cette année là, j'étais comblé, Jacky gagnait dans les circonstances citées plus haut et Luigi nous amenait une victoire de catégorie + une 8è place au Général!!!!!!
INCROYABLE.....

Souvenirs de 1977 ( Ecrit par Gérald Santucci le 23-05-2004 )

Comme Benoît et Luc, et bien sûr tant d'autres admirateurs de Jacky, j'ai suivi cette course extraordinaire du fond de mon lit, le doigt posé sur le bouton allumant le poste de radio chaque fois qu'une nouvelle heure commençait. J'avais 22 ans. Grâce à Sports Auto, j'avais suivi la préparation de cette course, depuis les premiers essais menés au début de l'année 1977 lorsque Jacky alignait des tours durant plusieurs heures pour tester le moteur de la Porsche. A l'époque, la victoire de la Porsche pilotée par Ickx et Pescarolo, les deux mythes des "24 Heures", paraissait sinon acquise du moins probable. Leur voiture semblait incassable et, donc, du fait de la valeur combinée de ses pilotes, imbattable. Aussi la défaillance de la voiture, survenue subitement alors qu'elle était conduite par Henri Pescarolo, fut-elle une surprise, un choc, et bien sûr pour moi, "fan" de Jacky, une énorme déception. C'est alors qu'au Journal de 20 Heures sur la première chaîne de télévision française (je vivais à Paris), j'appris que Jacky Ickx venait de monter à bord de la voiture de l'autre Porsche, celle de Barth et Haywood. J'ai encore en mémoire l'image du moment où Jacky prend son premier relais à bord de la Porsche n° 4. Pour la petite histoire, j'indiquerai que mes compatriotes cachaient mal leur déception de voir le Belge Jacky Ickx préféré au Français Henri Pescarolo pour renforcer l'autre équipage comme "troisième pilote" ! Moi, j'étais aux anges. L'année précédente, j'avais assisté à la victoire "facile" de Jacky au Mans, et je rêvais d'une nouvelle victoire qui placerait mon "champion" en tête de tous les vainqueurs de cette course magique (jusque dans les années septante, le Mans était une course qui suscitait presque autant de passion populaire et d'intérêt médiatique que les courses de F1). Ensuite, ce fut cette nuit au fond d'un lit, la main posée sur le même petit poste de radio que celui que j'avais déjà lorsque, plus jeune, je suivais aussi les courses de F1 de Jacky en savourant les commentaires du journaliste-radio Tommy Franklin (décédé hélas prématurément) sur France Inter. Au petit matin de la course de 1977, retour aux images de télévision puis, une heure avant l'arrivée, grand frisson lorsqu'un panache de fumée blanche sembla indiquer que le destin changeait de cours, comme dans une tragédie grecque, mais heureusement tout finit dans la joie avec cette magnifique victoire que toute la presse salua le lendemain. Je me souviens vaguement d'une interview de Jacky dans France-Soir ; il disait en gros : "Je n'avais pas l'impression de faire quelque chose d'extraordinaire !". C'était une nouvelle preuve qu'il était, tout simplement, un grand Monsieur et un "grand seigneur".