Nous sommes le 27 août 2005, il est 6 heures du matin. Je commence tôt pour une grosse journée de travail car je suis en retard dans mes délais de remise de documents. Vers 9 heures, j'allume l'ordinateur pour vérifier une côte (je suis dessinateur industriel) et, comme d'habitude, premier réflexe, je jette un coup d'œil sur le site de Jacky Ickx car Julien a toujours quelque chose à raconter. Dans une fenêtre à droite de l'écran, le nom de Château Lastour attire mon attention. Je lis le petit article et j'apprends que Jacky Ickx sera ce jour même dans ce domaine pour donner le départ du "Premier Trophée Richard Sainct", organisé en hommage au (et aux) pilote(s) hélas disparu(s) ces derniers mois.
Alerte. Mon Idole est en ce moment même à 250 Km de chez moi ! Je ne peux pas laisser passer cette occasion unique et inespérée de (peut-être) le rencontrer. Pourtant j'hésite, mon travail doit être accompli. J'y vais, j'y vais pas ? Ma mère, qui depuis qu'elle m'a mis au monde a dû entendre prononcer le nom de ce pilote Belge un million de fois et plus, m'encourage vivement à y aller. Ma femme en rajoute une couche, et me voilà en route pour les Corbières, ma région natale.
Le trajet ce passe très mal : pluie, accidents, déviations, ralentissements,... et j'arrive enfin dans le paddock vers 12 Heures 30. Parmi près de 500 personnes, mes yeux ne cherchent qu'un seul visage mais ne le trouvent pas. Je me dis qu'à cette heure, si Jacky est aujourd'hui à Château Lastour, il doit se trouver au restaurant. Je m'assieds donc devant la porte du restaurant et j'attends. Vers 14 heures, du monde commence à quitter les tables, puis le mouvement s'accélère car le départ est prévu pour 15 heures. Plus les secondes s'égrènent et plus mon cœur se met à battre.
A 14 heures 20, c'est le souffle coupé que mes yeux sont rivés sur la silhouette qui sort de ce trou noir qu'est la porte du restaurant. Jacky Ickx, en chair et en os, dit bonjour aux quelques amis qu'il croise, et passe lentement devant moi. Et bien voilà ? Il est là, et bien là, "mon Copain" !
Voilà 35 ans que j'attends, mais aussi que je redoute cet instant car maintenant, le plus dur reste à faire : il faut l'accoster. Qu'elle phrase vais-je trouver pour lui faire comprendre que je ne lui dis pas bonjour parce que nous nous sommes croisés sur un chemin de garrigue et qu'en le reconnaissant je l'ai salué ? Il faut qu'il sache que je suis Claude Millabet, un de ses plus fidèles admirateurs depuis 1968, le fanatique le plus fou de ce personnage unique. Comment réagira-t-il ? Va-t-il couper court à mon interception ? Les secondes s'écoulent, il s'éloigne, il faut que je me ressaisisse. Mes jambes sont en coton et presque inconsciemment, je le rejoins.
- Monsieur Jacky Ickx, s'il vous plaît (il se retourne lentement), permettez-moi de vous serrer la main. Je suis votre plus fidèle admirateur et je suis venu spécialement de Nîmes pour vous voir... Vous ! Il me sourit : - Mais c'est très gentil à vous et j'en suis très touché. Et à quel moment ou à quelle occasion ma carrière vous a-t-elle passionnée ?
- Dès vos premiers exploits, à Spa, Nürburgring... etc. etc.
- Ah oui, car nous sommes certainement de la même génération... etc. etc.
Il me présente à Khadja Nin, elle aussi, invitée par les organisateurs (il y a aussi Vatanen, Metge, Schlesser, ... )
Le dialogue se poursuit.
- Quel est votre métier ?
- J'ai un bureau d'étude en constructions métalliques.
- Ah ! Très bien. Et là, il se passionne. Alors justement, il paraît que maintenant sous les poutres des toitures on met des tirants en câble ou en fer rond pour renforcer les éléments, il y a des tendeurs pour permettre le réglage...
Je réplique :
- Effectivement, on évite ainsi la poussée sur les murs...
La légendaire curiosité de Jacky Ickx... c'est réel !
Je lui explique qu'indépendamment du souhait de le rencontrer, je voudrais lui montrer un livre que j'avais écris sur sa carrière, et il accepte. Je sors le manuscrit de mon sac et en voyant la page de couverture il laisse échapper :
- Oh, très bien !
Je constate son regard admiratif et intéressé. Je feuillette quelques pages, et de temps en temps il m'arrête :
- Oh, cette photo... , Ah là, c'est quand j'étais ...
Il continue :
- C'est bien, il y a beaucoup de texte, c'est présenté clairement, ça doit représenter beaucoup de travail...
De son bras il entoure mon épaule, et je sens son étreinte franche et sincère. Pourtant l'émotion me gagne, mes mains tremblent, ma gorge se noue. J'essaye de continuer le dialogue mais je perds le contrôle. Un rêve de 35 ans est en train de se réaliser, avec un accueil que j'étais loin d'imaginer. Mon émotion va tourner au ridicule et Jacky en prend conscience, il me lance :
- Quel est votre prénom ?
- Et bien reprenez-vous Claude, sinon vous allez me faire pleurer. Profitons-en, nous sommes là tous les deux, tranquilles, nous avons tout notre temps. Je vais aller donner le départ de la course, et après, nous aurons l'après-midi pour bavarder et parler de votre projet.
Cette interruption obligatoire va se révéler salvatrice et bienfaisante. Jacky donne le départ de la course et bavarde avec quelques personnalités. A l'ombre d'un pin, je m'assieds sur un talus et savoure déjà ce premier contact. Comment vais-je faire maintenant pour approcher à nouveau Jacky sans l'importuner ? Alors que je fais tranquillement les cent pas, par-ci, par-là, derrière moi, une voix féminine me fait sursauter. C'est Khadja Nin :
- Avec Jacky, nous vous avions repéré sur votre talus, et nous venons bavarder un petit moment avec vous.
Une main se pose sur mon épaule et j'entends :
- Alors Claude, si nous reprenions notre conversation, parlez-moi de votre projet.
Je me retourne et Jacky est à mon côté. C'est Lui, Monsieur Ickx, qui est venu me chercher pour parler ! Il ne regarde pas si je suis en costume et cravate, si je suis beau, si je suis riche. Ce n'est pas le personnage le plus mythique du sport automobile, ce n'est pas le plus grand pilote automobile de tous les temps, ce n'est pas "Monsieur" Jacky Ickx qui discute avec le simple petit bonhomme que je suis, c'est Jacky qui discute avec Claude, point. L'émotion fait place à une inattendue liberté de contact. Je le sent libre, décontracté, serin, attachant. On pourrait décrire le regard de Jacky comme un fil qui relie sa pupille à la votre. Vous sentez qu'il parle avec vous et non pas qu'il fait semblant... (en regardant en même temps à droite ou à gauche ). Il ne se cache pas derrière des lunettes noires. Son regard est droit, franc et honnête. Il vous écoute, réfléchit, conseille. Son regard m'impressionne de sincérité. Il me reparle de mon métier, nous évoquons quelques courses d'antan. Il me dit que la course ne lui manque pas, mais qu'au contraire il regarde toujours devant lui afin de découvrir de nouveaux horizons, une nouvelle vie.
Nous revenons sur mon projet. Il y a longtemps, j'avais écrit un livre sur la carrière de Jacky Ickx, et ne pouvant le faire éditer, j'avais envisagé de le transformer en site Internet afin que tout le monde puisse profiter librement de mon travail. Nous pourrions ainsi faire un retour sur la carrière de ce pilote d'exception et découvrir ou redécouvrir tous les instants qui l'ont rendu célèbre. Jacky est sincèrement séduit par mon idée et m'encourage à la poursuivre. Je me sens de plus en plus à l'aise. Il fait vraiment bon vivre et discuter avec lui... A tel point que, lorsque Khadja Nin propose :
- On peut boire quelque chose ?
Aussitôt Jacky s'adresse à moi :
- Que voulez-vous boire ?
Je me rappelle avoir hurlé et levé les bras au ciel, en disant :
- Ah non Monsieur, c'est moi qui vous offre à boire, c'est un honneur pour moi d'offrir un verre à mon Idole !
- Mais non, me dit-il, vous vous êtes déplacé de Nîmes, c'est moi qui vous l'offre.
Pendant une bonne minute, en élevant la voix et en se maintenant les mains l'un et l'autre, nous nous sommes chamaillés comme des gosses, comme deux bons vieux copains devant un comptoir... c'est lui qui a payé (il a toujours été le plus fort !). Instant de bien-être total !
Autre souvenir :
Nous étions en train de parler de choses et d'autres, quand un ami de Jacky arrive. Il me présente ce Monsieur et, me prenant par l'épaule, lui dit : - Ce Monsieur est un admirateur qui est venu spécialement de Nîmes pour me rencontrer !
Un autre ami arrive, même scénario et les bons vieux souvenirs commencent à "sortir des tiroirs". Puis la discussion devient plus professionnelle et je me recule par discrétion. Jacky se retourne vers moi, et de sa main, me fait signe de reprendre ma place ! Un joli signe de respect ! Exemplaire, Non ?
Toutes les bonnes choses ont une fin, et même si j'ai encore beaucoup de choses à lui dire ou à lui demander, j'ai pris congé de mon Idole. Sa poignée de main m'a fait comprendre que lui aussi venait de passer quelques heures chaleureuses en compagnie d'une rencontre inattendue, je pense. Nous nous sommes souhaité bon retour, bonne santé, et à bientôt... A bientôt ? Vous avez dit ? Oh que oui !
Eh bien voilà, 35 ans d'espérance pour un après-midi de bonheur, le rapport de temps est aussi immense que le Talent de ce Grand Homme qu'est Jacky Ickx. Merci Monsieur Jacky Ickx pour cette après-midi inoubliable.
MESSAGE AUX PASSIONNES DE JACKY ICKX
Je me considère maintenant comme faisant partie des admirateurs privilégiés qui ont pu côtoyer quelques instants le plus grand pilote automobile de tous les temps : Monsieur Jacky Ickx.
J'ai peut-être été un peu long dans cet article, mais j'ai voulu faire partager un instant que moi j'ai vécu, alors que beaucoup de gens espèrent le vivre un jour.
Vous l'avez lu, je vous rassure, Jacky Ickx est Tel que je vous l'ai décrit et il est vraiment agréable d'être en sa compagnie.
Le seul problème : Il m'a fallu une semaine pour "revenir les pieds sur terre".
Merci également à Khadja Nin et aux amis de Jacky, qui de par leur simplicité et leur bonne humeur, ont su créer une atmosphère de bien-être et de confiance.
Pour finir, merci surtout à Monsieur Julien Garnier bien sûr. Incroyable Julien qui en insérant ce petit article était loin de se douter qu'il allait bouleverser la vie d'un des plus grands fanatiques de Monsieur Jacky Ickx. Grâce à vous, Julien, j'ai réalisé un rêve : J'ai rencontré Monsieur Jacky Ickx. Le rêve s'est transformé en réalité.
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