X-Files > L'enfant terrible part 3

Accélérateur bloqué

Sur le Nurburgring plongé dans le brouillard, Ickx ne peut jouer sa chance : il a perdu sa visière.

Sa saison s'achève prématurément au Canada, alors qu'il est 2e au classement du Championnat du Monde : accélérateur bloqué à fond, il sort violemment de la route et il est extrait de l'épave de sa Ferrari avec un tibia et un péroné fracturé. Jacky nous explique comment cet accident est arrivé. "Pour amélioré les performances du moteur, le profil des conduits d'admission avait été modifié. A la suite de cela, j'ai constaté que la guillotine d'ouverture des gaz avait tendance à coincer. C'était pendant les essais et l'accélérateur était resté bloqué une première fois, mais j'avais pu garder le contrôle de la voiture moyennant une grosse frayeur et, de retour au stand, Giulo Borsari, mon chef mécanicien, avait tout vérifié, sans rien déceler d'anormal. C'est arrivé une deuxième fois et je me suis de nouveau arrêté pour le signaler et pour faire contrôler le mécanisme. La troisième fois, pour donner suite à ma demande, Borsari a avoué dans un livre vingt ans après qu'il avait fait semblant de vérifier, car il ne trouvait rien d'anormal. Je suis reparti, l'accélérateur s'est encore bloqué et, à l'endroit où cela s'est passé, l'accident était cette fois inévitable. Ce fut le pire moment de la carrière de ce brave Borsari !"

Pour la saison 1969, Ickx est passé chez Brabham. Mais très vite, il se rend compte qu'il est condamné à évoluer dans l'ombre de "Black Jack", le patron. Lorsque Brabham se casse une cheville, la situation du pilote Belge s'améliore. Au Nurburgring, il vient à bout de Jackie Stewart au terme d'un superbe duel et il remporte une de ses victoires les plus importantes : s'il peut battre Stewart, réputé le meilleur du monde, il est définitivement convaincu qu'il peut devenir championt du monde.

Les 24 heures du Mans 1969

Porsche avait gagné le Championnat du Monde de voitures de sport avant que John Wyer n'ait déchiré la page du mois de Mai de son calendrier 1969. Les 24 heures du Mans furent toujours une course unique, un championnat du Monde à elle seule. Jaguar, Aston-Martin et Ford l'ont compris avec la clarté véritable et avaient couru en conséquence. Le titre mondial de Voiture de sport sans Le Mans était un palmarès à moitié vide, non à demi plein.

Porsche avait inscrit deux 917 pour Vic Elford/Richard Attwood et pour Kurt Ahrens/Rolf Stommelen. Une troisième 917 privée était engagée par John Woolfe et pilotée par lui-même et Herbert Linge, pilote prêté par l'usine de Stuttgard. Derrière les 917 on trouvait quatre 908 Groupe 6, deux 910 de 2 litres et sept 911 GT. Deux Alfa privées T33s prenaient le relais de Autodelta qui, suite au décès de Lucien Bianchi lors des pré-qualifications au volant de la T33, décidait de renoncer à l'épreuve. Matra, après un début encourageant en 1968, est venu avec quatre 630-650 V12 3.0-litres. Ferrari a engagé une 312P Groupe 6.

Jacky Ickx est associé à Jack Olivier au volant de la GT40, victorieuse déjà en 1968, de John Wyer aux couleurs de Gulf. Une seconde GT40 était confiée à l'équipage David Hobbs/Mike Hailwood. John Wyer était absent, son épouse étant malade, et remplacé par David Yorke. Malgré la nouvelle chicane Ford, Stommelen avait amélioré le record du tour que détenait Denny Hulme avec la Ford 7.0-litres MkIV et plaçait sa 917 sur la première ligne.

A 14 heures, le drapeau tricolore est abaissé et les pilotes traversent la piste en courant, s'engouffrent dans leur bolide et démarrent avec fracas. Tous, sauf Jacky Ickx, qui marche négligemment jusque la GT40 et attache soigneusement son harnais de sécurité comme un adulte et démarre ensuite. C'est une protestation calme, mais plus d'un quart de millions de spectateurs ont été sensibilisé. Stommelen, avec le hurlement de sa 917, enmenait une meute de cinq Porsches blanches. A Maison Blanche, c'était toujours Stommelen qui menait quand soudain s'éleva une colonne de fumée. John Woolfe, qui n'avait pas pris le temps de fixer son harnais, quittait la route et percutait le rail de sécurité. Le réservoir en flammes de la Porsche était projeté sur la piste, incendiant la Ferrari du malchanceux Chris Amon qui arrivait à ce moment. Le rideau de flammes et de fumée qui barre la piste bloque la course. Amon parvient à se dégager mais Woolfe, lui, y a laissé la vie. Tentait-il, comme beaucoup dans ce premier tour, d'attacher son harnais ? Nous n'aurons jamais de réponse à cette question.

Mais déjà la course reprend son rythme. Stommelen, au 6e tour, bat le record du tour à 240 km/h de moyenne. Personne n'a encore roulé si vite au Mans. A 15 heures, les 917 et les Matra ravitaillent et la 908 de Siffert/Redman prend le commandement. Par pour longtemps car elle doit s'arrêter et finalement abandonner vers 20 heures : la boîte de vitesse a rendu l'âme. C'est la 917 de Elford/Attwood qui est au comandement. A 20 heures, seules les Porsches captivent le public. Tout le monde a oublié la GT40 du jeune Belge contestataire. La 908 de Herrmann-Larrousse se hisse de la 6e place à la 4e place alors qu'en tête Elford est suivit des 908 de Schutz-Mitter et de Lins-Kaushen. A 7 tours derrière eux, se trouve la Matra de Beltoise-Courage, elle même suivie par ... les deux GT40 de John Wyer.

Vers 23 heures le brouillard est retombé, il faut lever le pied. Et à 2 heures du matin, Jacky double la Matra de Beltoise. Le brouillard s'épaissit et à 4 heures, dans les Hunaudières, la 908 de Schutz sort de la piste, percute le rail de sécurité et prend feu. Heureusement le pilote est indemme. A 6 heures la 917 de Stommelen abandonne sur bris de boîte de vitesse. A l'aube, il ne reste que 16 voitures en piste sur les 45 au départ. A 10 heures, c'est la Porsche de Lins qui abandonne : boîte de vitesse !

A exactement 11 heures, Jacky prend le commandement devant la 908 de Herrmann qui suit dans le même tour. Yorke fait rentrer Jacky 10 minutes plus tard pour un arrêt prévu et Herrmann passe en tête pour un tour avant de s'arrêter et passer le relais à Larrousse. De nouveau, Jacky est en tête suivit par Larrousse à 10 secondes. L'heure suivante se passe avec Ickx alignant les tours en 3:40, pilotant d'une manière conservatrice mais rapide, économisant la voiture et le carburant, travaillant pour retarder l'arrêt mécanique final. Il sait que l'assaut viendra bientôt. À midi le status quo est maintenu. Avec la trappe à carburant ouverte, Larousse attaque, essaye d'induire Ickx en erreur et le forcer à un arrêt anticipé. Ford est le premier a ravitailler et la 908 prend le commandement. Deux tours plus tard, Larousse cède le volant à Herrmann. L'arrêt est trop long et Ickx est à nouveau en tête.

Herrmann a consommé quelques gallons de carburant et laisser les pneus monter lentement en température. Il s'installe à moins de 200 mètres derrière la Ford bleu et fait un inventaire visuel. La GT40 semble désespérement saine. Ickx en est a son deuxième relais consécutif, mais sa conduite est précise. Yorke avait choisi sagement. Plus loin et hors de vue Hailwood est troisième dans l'autre GT40, mais quatre tours derrière le leader avec la Matra de Beltoise sur les talons.

A moins d'une heure de l'arrivée, Herrmann était finalement prêt. Il ratrappe Ickx et prend le commandement. Un tour plus tard, Ickx est de nouveau en tête, seulement maintenant Herrmann essaye vaillamment de dépasser la GT40 de Hailwood alors 3e. Il faut un tour de plus pour que Hans parvienne à dépasser Mike The Bike qui s'amusait de trop que pour laisser passer l'allemand. Un tour plus tard, il se dédouble et ennuye de nouveau Herrmann tandis que Ickx s'enfuit. Il faudra plusieurs tours pour que Herrmann se débarrasse de Hailwood, qui avait apparemment décidé qu'il avait mis assez de distance entre lui et la Matra et cessé le combat.

Une fois libre, la 908 utilise sa vitesse supérieure dans les Hunaudières pour approcher, engager et passer Ickx, qui lui rend promptement la pareille grâce a un freinage retardé, propre et décisif à la chicane. La Ford 5 litres passe en tête devant les stands. Herrmann recommence à Mulsanne, mais cette fois Ickx n'attaque pas au virage Ford. Il attend un tour. Et Herrmann joue de nouveau son as Mulsanne. Cette fois Ickx le dépasse à Arnage et gardera le commandement jusqu'au drapeau à damiers.

C'était la finale la plus serrée dans l'histoire du Mans, 120 mètres séparaient la GT 40 de Jacky et la Porsche 908 de Herrmann. Ickx et Olivier avait gagné Le Mans pour la première fois.

Le lundi matin Jacky Ickx conduisait une Porsche 911 Targa, appartenant au distributeur Porsche Belgique, vers Paris pour le banquet de victoire. Près de Chartres une voiture percutait la Porsche. La Targa s'écrasait contre un poteau, mais Ickx, l'homme qui avait défié la tradition et avait marché vers sa GT40, assurant son harnais avant la victoire des plus spectaculaires 24 heures du Mans de l'histoire, débouclait sa ceinture de sécurité et sortait indemne de la Porsche détruite.


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© Textes et photos extraits du livre Jacky Ickx L'enfant terrible, des dossiers Michel Vaillant de Jean Graton.