X-Files > L'enfant terrible part 4

L'état de grâce

En 1970, il lui faut quitter Brabham et il décide de retourner chez Ferrari, qui prépare la nouvelle 312B avec son douze cylindres à plat. Il devient le chef de file de la prestigieuse Scuderia Ferrari qui, à cette époque, participe également aux grandes épreuves de sport-prototypes.

Ickx court aussi en F2, pour BMW. "Contrairement à ce qui se passe aujourd'hui, les pilotes pratiquaient toutes les disciplines: F1, F2, tourisme, proto... il fallait être bon en tout et nous courions presque tous les week-ends, bien plus par goût de la compétition que par esprit mercantile. On ne gagnait d'ailleurs que relativement peu d'argent par rapport à ce qu'est devenue la F1 moderne ".

Le Mans, cette épreuve dans laquelle les qualités de Jacky Ickx allaient merveilleusement s'exprimer, n'a pas toujours été tendre avec lui.
En 1970, il est donc au départ avec une Ferrari 512S officielle, associé à l'excellent Suisse Peter Schetty. La Ferrari 5 litres n'est pas aussi efficace que sa rivale, la Porsche 917. Ickx et Schetty optent pour une course régulière. La pluie commence à tomber au début de la soirée.

Au milieu de la nuit, peu avant la mi-course, leur Ferrari se retrouve deuxième, c'est-à-dire avantageusement placée derrière Siffert-Redman, les "lièvres" de Porsche. Victime d'un blocage de roue au freinage de la chicane Ford, Ickx part en en tête-à-queue et heurte en marche arrière le talus de sable destiné à retenir la voiture. Mais durci par la pluie, il fait office de tremplin et en retombant de l'autre côté, la Ferrari écrase un commissaire de piste. Indemne, Jacky est à nouveau confronté au drame de cette insondable fatalité.

"I can't believe it"

Avec la Ferrari 312 PB, le léger sport-proto dérivé de la F1 à moteur 3 litres 12 cylindres à plat, Ickx remporte de nombreux succès et s'aguerrit aux exigences particulières des courses d'endurance, que l'on gagne en adoptant la bonne stratégie. En 1975, au Mans, il faut tenir compte de la consommation. Ickx et Bell s'imposent avec la Mirage-Ford engagée par John Wyer.

L'année suivante, pour Jacky, c'est la première victoire mancelle avec Porsche, chez qui il allait bientôt se sentir bien et livrer tout le fruit de sa maturité et de son expérience. Puis vient celle de 1977, la plus belle de toutes.

"J'ai pris le départ au volant de la Porsche 936 numéro 3, que je partageais avec Henri Pescarolo. Mais nous avons dû abandonner très rapidement, moteur cassé. La seconde Porsche 936, la numéro 4, avait aussi connu un incident: les mécaniciens ont pu y remédier, mais lorsqu'elle est repartie, en quarante-neuvième position et avec plusieurs tours de retard, toute chance d'un bon classement semblait perdue, surtout face à l'armada des Renaults. Inutile de dire que le moral de l'équipe Porsche était au plus bas.
Ils m'ont alors fait monter sur la 4, avec Barth et Haywood. Il a plu toute la nuit et j'ai conduit presque tout le temps, à la limite de ce que permettait le règlement. Je me suis livré à fond et j'ai piloté dans un état de grâce divine: cette nuit fut véritablement magique pour moi. L'équipe, qui était détruite psychologiquement, a aussi recommencé à y croire, au fur et à mesure de notre remontée au classement. Finalement tout le monde a donné le meilleur de soi-même.
Quand je lui signalait que je restais encore au volant lors d'un ravitaillement, mon ingénieur allemand secouait la tête, complètement médisé, en disant "I can't believe it..." (je ne peux pas le croire). Au lever du jour, j'étais épuisé. Nous étions remonté en deuxième position, exerçant une formidable pression sur la Renault de Jabouille et Bell, qui ne tarda pas à casser. Nous-mêmes avons terminé de justesse, avec un moteur moribond, qui ne tournait plus que sur cinq cylindres. Comme la voiture, je n'aurais rien pu donner de plus, mais ce fut un moment fantastique "
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En fait, Jacky Ickx, que l'on jugeait paresseux à l'école, aime l'effort et la difficulté. Il semble même que ce soit cela qui l'ait si longtemps captivé dans le sport automobile, plus que la course elle-même. Une épreuve de vingt-quatre heures, comme Le Mans, est particulièrement dure: il y a excellé.

Par plaisir, il a beaucoup pratiqué le vélo, roulant souvent avec un groupe d'amis très entraînés, parmi lesquels Eddy Merckx, et effectuant régulièrement des randonnées dans les cols alpins et les régions les plus sauvages. Les rallyes-raids lui ont permis d'aller encore plus loin dans les performances physiques, jusqu'à choisir finalement de disputer seul le Paris-Dakar, effectuant lui-même les entretiens ou réparation de son Toyota au terme des étapes et réduisant ainsi encore son temps de sommeil.


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© Textes et photos extraits du livre Jacky Ickx L'enfant terrible, des dossiers Michel Vaillant de Jean Graton.