Le funambule
Voici un autre exemple du rayonnement charismatique de Jacky Ickx. Fin 1974, il accepte de prêter son concours à une soirée caritative, qui est organisée au vélodrome de Rocourt, près de Liège. Elégamment habillé en veston et cravate, le pilote belge de Formule 1 traverse la largeur du stade en marchant sur un fil tendu à 5 mètres du sol, sans filet, ni aucune protection. "L'année précédente, pour cette œuvre, j'avais joué au football avec les autres sportifs venus d'horizons divers. Mais le football, ce n'est pas vraiment mon truc. J'ai donc décidé d'apporter ma contribution d'une manière différente et il m'est venu l'idée de ce numéro de funambule. Je suis allé acheter du câble et je l'ai tendu sur des potences, que j'ai fait installer à 2 mètres du sol dans mon jardin. J'ai mis des chaussures adéquates, je me suis procuré un balancier et je me suis entraîné pendant 15 jours. Ce n'est pas si difficile que cela".
Mais profitons de ce retour en arrière pour revenir à la Formule 1.
La saison 1970 est déjà bien entamée quand la Ferrari 312 B commence à gagner, ironiquement Ickx et Regazzoni signent le doublé en Autriche, patrie de Jochen Rindt, qui vole vers le titre mondial au volant de la fine Lotus 72. Lorsque Rindt se tue à Monza, quelques semaines plus tard, trois Grands Prix doivent encore être courus : en gagnant celui du Canada, Jacky Ickx est le dernier à pouvoir encore atteindre un total de points supérieur à celui de l'infortuné pilote autrichien et le battre ainsi dans la course au titre mondial. Mais un abandon sur rupture de canalisation d'essence en décidera autrement lors du Grand Prix des USA, ce qui ne laisse aucun regret à un sportif comme Jacky, encore vainqueur au Mexique : Rindt est sacré champion du monde à titre posthume.
L'exploit de Paddock Bend
En 1971 et 1972, Ferrari ne parvient pas à concrétiser ses ambitions sur l'ensemble de la saison. Ickx gagne encore 2 Grands Prix, dont le dernier au Nürburgring, son circuit fétiche. En 1973, rien ne va plus chez Ferrari et à mi-saison, c'est le divorce. Jacky passe dans d'autres écuries, dont certaines de premier plan, comme Lotus en 1974 et 1975, mais il ne s'y trouve pas au bon moment.
Début 1974 à Brands Hatch, lors de la Course des Champions, il fait l'extérieur à la Ferrari de Niki Lauda sous la pluie dans Paddock Bend, un délicat virage plongeant. La manœuvre paraît folle d'audace, mais Jacky sait ce qu'il fait, surprenant ainsi Lauda et remportant la victoire. "Je fus un des premiers pilotes à remarquer que, sous la pluie, le bord extérieur de la piste offre souvent une meilleure adhérence, là où les voitures ne passent pas souvent. J'avais tenté une première manœuvre de dépassement sur Lauda à cet endroit, mais j'étais arrivé trop court et j'avais dû renoncer au dernier moment. Heureusement, absorbé par son propre pilotage, Lauda ne s'en était pas aperçu, ce qui m'a permis d'encore bénéficier de l'effet de surprise à ma seconde tentative, qui fut la bonne". Malgré ce coup d'éclat, Jacky Ickx pressent qu'il lui sera difficile de rebondir dans une des meilleures écuries du moment en F1 : "Tu te raccroches à des convictions; tu crois que, par miracle, tu vas te rétablir. Tu acceptes de piloter des voitures moins bonnes et tu es fatalement plus exposé. C'est ce qui m'est finalement arrivé chez Ensign".
Jacky raconte son terrible accident du Grand Prix des USA 1976, à Watkins Glen : "L'équipe Ensign de Mo Nunn était méritante, mais dépourvue de moyens adéquats. Sur ce circuit, nous n'avions pas les ressorts de suspension qui convenaient, de sorte qu'avec le plein d'essence, la direction de l'Ensign devenait si dure que je ne pouvais plus changer de cap. Et ce qui est arrivé, c'est que dans un virage, je n'ai pas eu la force nécessaire pour effectuer à temps une correction de trajectoire". L'Ensign heurte les rails de plein fouet et elle est coupée en deux par un piquet; le réservoir d'essence est éventré et la voiture prend feu. Jacky s'en échappe et boîte vers le bord de la piste, avec un pied nu. "Un de mes bottillons de course est resté coincé dans le pédalier et ses coutures, qui étaient pourtant d'une solidité extraordinaire, ont littéralement explosé".Les blessures aux pieds sont terribles : plusieurs fractures de chaque cheville, un orteil sectionné, la plupart des ligaments arrachés et des brûlures au troisième degré. Malgré cela, Jacky récupère comme un sportif de haut niveau : trois mois plus tard, il est rétabli.
En 1979, il héritera d'une Ligier pour quelques Grands Prix, en remplacement de Patrick Depailler, accidenté en deltaplane. Lors de cet intérim, Ickx se rendra compte qu'il n'éprouve plus une motivation suffisante pour rouler en F1.
La plus grande horreur
"Sauf au tout début, lorsque je découvrais mes limites personnelles, je suis très peu sorti de la route. Certaines saisons, si j'effectuais un seul tête-à-queue, c'était beaucoup. Par contre, le destin a fait que, contrairement à d'autres qui cassaient régulièrement des voitures, mes accidents ont souvent eu un caractère dramatique. Et plusieurs fois, le feu, qui est le plus terrible de tous les dangers, s'est trouvé au rendez-vous". Comment ne pas se souvenir de l'épisode de Jarama en 1970 et de cette première confrontation dramatique de Jacky Ickx avec la terreur des flammes ?

|